Il est loin, le temps où les évêques étaient à deux doigts de réhabiliter les processions des rogations, non pas pour faire tomber la pluie mais pour « faire barrage » à l’extrême droite.
Souvenons-nous, il y a bientôt vingt ans : au lendemain du terrible et quasi apocalyptique 21 avril, l’évêque de Saint-Denis, Mgr de Berranger, clamait son « non possumus », réhabilitant par la même occasion le latin. Pour lui, « un catholique clairvoyant » ne pouvait pas soutenir Le Pen, « héritier d’une tradition antichrétienne ». De son côté, le président de la Conférence des évêques de France de l’époque, Mgr Ricard, archevêque de Bordeaux, usait de la langue de buis en appelant les chrétiens à « discerner les valeurs fondamentales de la démocratie ». Si vous voyez ce que je veux dire…
En 2017, bis repetita : l’extrême droite accédait au second tour. Là, on avait changé de cantique. Moins militant, dirons-nous. Au point qu’Isabelle de Gaulmyn, de La Croix, regrettait « le relatif silence des responsables » [de l’Église catholique] face à la présence de Marine Le Pen au second tour. Elle constatait à regret qu’il n’y avait plus « cette volonté de barrage explicite au vote extrême comme cela avait été le cas en 2002 ». Comme quoi, la nostalgie n’est pas qu’une maladie d’extrême droite !
Et en 2022 ? Le 18 janvier dernier, à l’occasion de la présentation de la lettre du conseil permanent de la Conférence des évêques de France, « L’espérance ne déçoit pas », Mgr de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et président de ladite conférence, déclarait que « les catholiques n’ont pas besoin de tuteur pour leur dire pour qui voter ». Les enfants du bon Dieu seraient donc, enfin, de grands garçons et de grandes filles ! Néanmoins…
Néanmoins, l’évêque du Havre, Mgr Jean-Luc Brunin, vient de publier, dans La Croix, une tribune titrée « Le message du Christ ne laisse pas sans ressources face au défi de l’extrême droite ». Nous y revoilà. « Une courageuse prise de position de Mgr Brunin », tweete l’incontournable Isabelle de Gaulmyn. Courageuse ? Effectivement, si l’on considère que les temps ont changé depuis 2002, que le vote catholique n’est pas conditionné par les sermons en chaire (faudrait-il encore avoir le courage d’y monter), que chez les jeunes - clercs et laïcs -, on ne pense peut-être pas tout à fait comme l'ancienne génération qui envoya tout valdinguer, poussée par le grand souffle du Concile, et qui arrive aujourd'hui en bout de course, que, malgré tout, les églises ont continué de se vider, que, etc.
Soyons objectif : ce n’est pas la première prise de position « courageuse » de Mgr Brunin. En 2014, lorsque le gouvernement Valls décida de moduler les allocations familiales, celui qui était déjà évêque du Havre avait déclaré, toujours dans La Croix, que le gouvernement avait franchi « une ligne rouge ». C’était effectivement courageux. Ce qui ne l’empêcha pas, deux ans plus tard, d’accepter la rosette de la Légion d’honneur du même pouvoir socialiste.
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