[Source: Roland Hureaux]
Pas de semaine sans qu'un organe de presse ne mette en vedette Emmanuel Macron, ministre de l'économie et des finances, lequel se tient parmi les premiers des classements de popularité, suivis de près en ces temps de pré-élection présidentielle.
Pour alimenter un peu plus la chronique, il vient de lancer un parti : "En avant" qui aurait déjà 13 000 adhérents.
Que cela agace prodigieusement ses collègues du gouvernement, et d'abord Manuel Valls ne fait pas de doute. Les socialistes de gauche sont, eux, furieux de la montée de ce traître qui n'est même pas social.
Il reste que Macron est aujourd’hui la coqueluche d'une partie de l'opinion : socialistes modérés qui comptent sur sa popularité pour échapper au désastre annoncé du PS, patronat (M.Gattaz ne tarit pas d'éloges), centristes, hommes de la droite modérée qui veulent montrer qu'ils ont l'esprit large en ralliant un ministre de Hollande.
Or rarement on a vu un emballement aussi illusoire.
Un emballement illusoire
Il tient certes pour une part à la popularité artificielle de ceux qui sont aux lisières de la droite et de la gauche et recueillent des suffrages des deux bords: Simone Veil, Bernard Kouchner, Jean-Louis Borloo en profitèrent sans que cela ait eu jamais le moindre débouché politique.
Il plait certes à la droite. Il en gagnerait même, dit-on, la primaire ! Il est vrai qu'il fut le rédacteur du rapport Attali, commandé par Sarkozy, où la Grèce était présentée comme un modèle de bonne gestion...
Tout enflé de termes comme élan, audace, réformes radicales, levée des blocages dont il précise rarement le contenu, son discours peut illusionner. Mais espère-t-il vraiment conquérir le peuple en promettant plus d'Europe, au moment où Anglais et Néerlandais songent à quitter le navire ? Il ne s'est jamais présenté à une élection, cela se voit.
Par derrière ce succès, une idée aussi répandue que fallacieuse : si les choses vont si mal, c'est que la droite et la gauche se chamaillent. Qu'elles s’endentent donc pour nous faire une bonne politique. Mais pourquoi espérer qu'une droite et une gauche qui n'ont pas résolu les problèmes le feraient mieux ensemble que séparément ? Cela marque les limites d'une opération comme celle de Raffarin qui se dit d'accord à 99 % avec Macron[1] et qui rêve d’un plan UMP-PS contre le chômage !
On peut aller plus loin : ce que le peuple refuse avec le plus de véhémence, sans toujours s'en rendre compte, c'est précisément ce qui constitue la zone de recouvrement de l'UMP et du PS : alignement sur l'Europe jusqu'à l'oubli des intérêts français, mondialisation "heureuse", rigueur budgétaire supposée, politiquement correct à tous les étages. Les sujets consensuels sont, à y regarder de près, les plus inquiétants. On se rapprocherait davantage des aspirations populaires avec les franges des grands partis qui précisément ne se recouvrent pas : la droite populaire et Dupont-Aignan[2] d'un côté, Mélenchon de l'autre, ouverts à des thèmes comme la remise en cause du libéralisme ou de l'Alliance atlantique, le souci de tempérer le mondialisme et de protéger les travailleurs français. Il y a une droite populaire, une gauche populaire, mais guère de centre populaire, en dehors du singulier et sympathique Jean Lassalle, l'antithèse absolue de Macron.
Comment s'étonner, au vu de ce positionnement, de la pauvreté des propositions de Macron? Il a récemment fait un tabac en disant qu'il fallait rémunérer les fonctionnaires aux résultats ; il devait pourtant savoir qu'une grande loi a été votée en 2001, celle que les technocrates comme lui appellent la LOLF (Loi organique sur les lois des finances) qui prévoit précisément cela. En dix ans d'application, elle a montré toute sa nocivité : difficulté de trouver de bons indicateurs de résultats, tricheries, découragement et démobilisation sans précédent des services.
L’action d'Emmanuel Macron est de la même eau. La loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques dite loi Macron du 6 août 2015 n'est pas inutile ; avec ses 316 pages, contribue-t-elle vraiment à simplifier notre législation? A vrai dire, dans ce qu'elle a d'utile, elle est essentiellement une loi administrative : notre législation est devenue tellement compliquée qu'il y a toujours à la marge des améliorations techniques à y apporter. C'est le cas en matière d'urbanisme, de permis de conduire, ou d'épargne salariale. Mais elle a aussi une dimension idéologique : ouverture des magasins le dimanche (pour un pouvoir d'achat en stagnation), tentative de libéraliser le statut des notaires, volonté d'ouvrir grand le transport ferroviaire à la concurrence de la route au risque d'affaiblir la SNCF - ce qui réjouit une certaine droite hostile au rail, plus par réflexes que par réflexion, mais quelle vision stratégique derrière, sinon d'américaniser un peu plus notre territoire entre un rail étiolé et des lignes de type Greyhound ?
Bien que le projet de loi El Khomri soit dans sa ligne politique, Macron l'a critiqué pour son manque d'audace avant de faire machine arrière devant la montée de la protestation. Ce projet est inspiré par une vision libérale du marché du travail où, mondialisation oblige, les garanties des salariés doivent céder la place à la flexibilité. C'est la politique de l'offre. L'emploi s'en portera-t-il mieux ? Ne dépend-t-il pas davantage des variables macroéconomiques que de la fluidité de la main d’œuvre ?
Des idées stéréotypées
Ce qui frappe dans les idées de Macron, dans la prétendue audace de Macron, c'est leur caractère stéréotypé à l'image de son profil de bande dessinée : sa première source d'inspiration est le rapport Rueff-Armand de 1958 qui préconisait de faire sauter tous les obstacles à la concurrence existant dans la société française (taxis, professions réglementées, pharmacies etc.) par l'application mécanique des principes du libéralisme pur et dur. Si une grande partie de ces dispositions n'a jamais été appliquée, c’est peut-être qu'il y avait à cela de bonnes raisons. Cela n'a pas empêché les trente glorieuses. Mais pour deux générations d'énarques, déplorer le manque de courage des gouvernements français à appliquer ces recommandations a été le sésame des premières places. Il ne fallait pas être très intelligent pour cela. Manque de courage ou sens des réalités ?
Là où un pouvoir national pourrait tempérer l'esprit de système au contact du réel, rien n'arrête l'Europe de Bruxelles. L'autre source d'inspiration de Macron, dont l’orientation idéologique est analogue, ce sont les directives européennes. Là aussi il ne faut pas être très subtil pour transposer de manière systématique, voire bestiale, ces directives en droit français. Notre administration ayant cessé d'être indépendante, a aussi cessé de réfléchir. Quand un haut fonctionnaire doit préparer un projet de loi, il ne cherche plus les meilleures solutions, il "transpose".
Comme le rapport Rueff, le droit européen issu de l'Acte unique de 1987 prescrivant l'uniformisation de toutes les normes de tous les pays européens, obéit à un principe simple : la loi de la libre concurrence entendue sans aucune nuance. Mais sournoisement, elle répond aussi à un projet de gommer les spécificités européennes ou françaises : entreprises publiques puissantes, labels de qualité, poids historique des classes moyennes (leur laminage au nom de la lutte contre le corporatisme va de pair avec leur écrasement fiscal).
L'introduction de méthodes managériales dans la fonction publique, prônée par Macron - et comme on le sait, déjà introduites -, suit les mêmes modes européennes, relais de l’idéologie mondialiste pour qui tout ce qu'a de spécifique la sphère publique est obsolète.
L'inspiration de Macron est idéologique, c'est à dire simpliste. Toute idéologie part de la simplification du réel. Cette idéologie est à l’œuvre quand il s'engage, plus que tout autre dirigeant français, pour dissuader la Grande-Bretagne de sortir de l'Union européenne, la menaçant de manière assez grossière d'ouvrir la porte aux migrants.
Nul doute qu'il est favorable au TAFTA voulu par les Américains pour les Américains, passivement négocié par Bruxelles et qui aboutira à subordonner la législation des États à des arbitrages habituellement réservés au droit privé sans doute pour en finir avec la démocratie.
Cette idéologie n'avait pas attendu que Macron soit ministre de l’Économie, pour marquer la France de son empreinte et, point par point, on pourrait démontrer qu’à peu près tout ce que rejettent les Français résulte des politiques qu'elle inspire: chamboulement du cadre administratif, délocalisations, désindustrialisation, crise de l'éducation nationale, dépérissement d'une partie de notre agriculture, ouverture sans limites des frontières, insécurité croissante de l'emploi.
Mais qui incarne mieux tout cela que Macron, issu du sérail le plus classique : l'ENA, le prestigieux corps de l’Inspection des finances qui a inspiré à peu près toutes les réformes depuis trente ans, avec le succès que l'on sait ? Ajoutons-y la haute banque pour pénétrer le saint du saint de ce que les Français rejettent.
Dans une France gravement en perte de repères et de ressort, Macron, jeune avec des idées vieilles, est, de manière emblématique, et même caricaturale celui dont il ne faut rien attendre. La popularité transitoire d'un tel personnage représente l'illusion parfaite.
Roland HUREAUX
[1] La Croix, 31/03/2016
[2] Pour ne pas parler de Marine Le Pen qui ne fait pas partie de ce cercle
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