Source [Valeurs Actuelles] Face aux injonctions de quelques étudiants et associations, l’ESCP Business School annule la conférence que Marine Le Pen devait livrer ce mardi soir, quelques jours après la venue controversée d’Éric Zemmour.
Les étudiants de l’ESCP Business School n’applaudiront ni ne hueront Marine Le Pen. L’administration de l’établissement parisien a annoncé le report de la conférence qui devait se tenir ce mardi, dans le cadre de l’événement récurrent « ESCPrésidentielles ». Organisée par l’association apartisane « Tribunes ESCP », la venue de la présidente du Rassemblement national s’inscrivait dans un cycle de conférences livrées par les différents candidats à l’élection présidentielle de 2022.
Vendredi 10 décembre, déjà, la conférence d’Éric Zemmour s’était déroulée péniblement, sur fond de tentatives de blocage, protestations des associations LGBT et féministe et menaces anonymes. Quand est révélé le nom du candidat, à 13 h 15 le jour de la conférence, plusieurs voix s’élèvent contre la venue de l’essayiste « multicondamné ». « Je n’entendais pas ces mêmes personnes se plaindre quand l’école recevait il y a un mois Jean-Luc Mélenchon, condamné pour rébellion et provocation », observe Hippolyte, fondateur de l’organisation « Les Grandes Écoles avec Éric Zemmour ».
La perspective d’une conférence d’Éric Zemmour mobilise plus de monde qu’à l’accoutumée. L’amphithéâtre Vital-Roux – le plus grand de l’école – est plein dès 18 h 30, trente minutes avant le début de la conférence. Les exclus peuvent s’installer dans un second amphithéâtre mobilisé pour l’occasion et assister à la conférence diffusée en direct sur écran géant. Un important dispositif de sécurité se charge d’exclure les quelques militants ayant camouflé banderoles et drapeaux LGBT sous leur manteau. L’une d’entre eux est évacuée après avoir collé un cœur aux couleurs de l’arc-en-ciel sur son front, devant l’invité contesté. Quand débute la conférence, à 19 heures, le candidat de la Reconquête est largement applaudi. Les réactions seront plus mitigées – pour ne pas dire polarisées – quand Éric Zemmour quittera la salle aux alentours de 20 h 30, une dizaine de minutes avant l’horaire initialement prévu.
« La conférence s’est, globalement, très bien passée », témoigne un étudiant. Quelques militants LGBT tentent, en vain, d’intimider leur adversaire à grands coups de sifflet depuis l’extérieur de l’amphithéâtre. Malgré les bruits stridents étouffés par les murs, Éric Zemmour n’est pas interrompu pendant son exposé. Mais un échange vient perturber la conférence, jusqu’alors relativement paisible – malgré les questions orientées d’une des deux journalistes. Alors qu’il développe son programme éducatif, le candidat explique vouloir « chasser de l’école les marchands du temple minoritaire, c’est-à-dire les lobbies LGBT et autres qui n’ont rien à y faire ». Un étudiant le prend à partie : « Vous voulez revenir au temps de Pétain ! » La réponse de l’essayiste aura raison du calme de l’auditoire : « Je ne vois pas le rapport. Vous savez, à l’époque de Pétain, le ministre de l’Éducation nationale était un homosexuel notoire, vous êtes donc passé à côté de l’Histoire. » Applaudissement, puis : « Et, pour vous faire rire : on le surnommait “Gestapette”. » Le trait d’humour, bien connu des historiens, ne passe pas. Dès la fin de la conférence, une poubelle est retrouvée qui obstrue le local de « Tribunes ». Elle porte l’inscription « Mort aux fachos »
« “Escape”, qui représente une minorité, a un poids hallucinant au sein de l’école », témoigne un étudiant. L’association s’est déjà fait remarquer pour la réclamation auprès de l’établissement d’une convention réhabilitant la présomption de culpabilité dans le cadre du harcèlement. Les sommets LGBT Talents, regroupant « workshops d’autodéfense face aux LGBTIphobies en milieu professionnel », sont réservés aux membres de la communauté. L’événement est propice aux discussions relatives à « l’inclusion LGBT+ sur le lieu de travail » et entretient un partenariat avec plusieurs gros cabinets de conseil en stratégie, à l’instar de Boston Consulting Group, EY ou Roland Berger. Pour réparer l’affront subi par l’association, Frank Bournois, directeur de l’ESCP Business School, a promis une subvention compensatoire. Ou « chèque “pardon on s’excuse” », comme le nomme le président d’Escape dans des messages consultés par Valeurs actuelles. Le militant ne manque pas de railler l’initiative de celui qu’il surnomme « sugar daddy » (homme âgé obtenant les faveurs sexuelles d’une jeune femme en assurant son entretien financier, ndlr).
Par communiqué, Frank Bournois tente d’apaiser les tensions. Aussi, la plus vieille école de commerce du monde devrait « observer une stricte neutralité partisane », tout en défendant « son attachement à une société ouverte, humaniste et respectueuse de toutes les diversités » et ses valeurs « si peu compatibles avec les nationalismes, les souverainismes et toutes autres formes de repli sur soi. » Geoffroy Lejeune était ainsi, en sa qualité de directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, écarté par l’établissement il y a quelques semaines. Sandrine Rousseau, Jean-Luc Mélenchon et Jean Lassalle ont, pour leur part, été reçus sans accroc.
« Les gens de gauche n’acceptent plus la diversité d’opinion, déplore Hippolyte : cette minorité mobilisée et agissante instaure consciemment un climat donnant à l’ESCP des raisons de refuser d’inviter des personnalités de droite, trop susceptibles de bousculer l’ordre au sein de l’établissement. » Raphaël Llorca, doctorant associé à la Fondation Jean Jaurès, livre une analyse divergente au micro de Quotidien : « La venue d’Éric Zemmour est un coup monté par l’extrême droite. » L’alumni de l’ESCP commentait ce lundi la « guerre culturelle de l’extrême droite » dans l’émission « C ce soir » sur France 5 : « Quand une telle école, très attachée aux idées de diversité et d’inclusion, faisant signer une charte à l’ensemble de ses étudiants et professeurs pour promouvoir la diversité des clients, offre une tribune à Éric Zemmour, c’est d’une certaine manière lui porter caution. »
Frank Bournois, à l’unisson avec les réticents à la venue d’Éric Zemmour et de Marine Le Pen, insiste quant à l’importance de cette « Charte Inclusion et Diversité », imposée par l’établissement et faisant foi de ses valeurs obligatoires – sous peine de signalement de tout comportement inapproprié ou y contrevenant. « Une charte perdue dans une boîte mail, dans la quinzaine de messages quotidiens de l’administration, sans accusé de réception ni obligation de signer », souffle Hippolyte.
Llorca, signataire d’une tribune en réaction à la conférence d’Éric Zemmour publiée ce lundi 13 décembre par Libération, le reconnaît néanmoins : « On s’est compté : on s’est rendu compte qu’on était minoritaire. 700 étudiants répartis sur 25 promos [d’autres sources en comptent jusqu’à 39, ndlr], c’est terriblement faible. » À raison de 500 étudiants par promotion, les opposants à la venue du candidat représentent donc… 3,5 % à 6 % des étudiants et diplômés de l’école. Pourtant, tout minoritaires et démocrates qu’ils sont, les signataires de la tribune ne se privent pas d’opposer à l’école sa revendication apartisane : « Face à Zemmour, la neutralité est une position intenable, assurent-ils. Nous appelons la direction à rendre des comptes auprès de la communauté des étudiants, administratifs, anciens élèves et professeurs. Cette soirée ne doit pas rester sans conséquences. »
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