Source [Valeurs Actuelles] : Une guerre commence s'il y a désaccord parmi les parties sur leur rapport de force et ne peut s'arrêter que si les deux parties se mettent d'accord sur celui-ci. Il faut s'attendre à ce que la Russie et l'Ukraine soient engagées dans une guerre d'usure qui durera jusqu'à ce que l'une des deux prenne l'ascendant sur l'autre. La divination est en général un art extrêmement risqué – il repose non pas sur une capacité à prédire l’avenir du haut d’un trépied pythien, mais sur l’analyse des grandes tendances et leur projection dans l’avenir, “toutes choses étant égales par ailleurs”.
Or, l’opposition des événements est tellement courante, en particulier dans les campagnes militaires, que le risque est grand de devoir expliquer le lendemain d’un événement pourquoi la prédiction ne s’est pas matérialisée. Ajoutons-y l’incertitude des batailles et le fameux “brouillard de guerre” qui embrouille notre jugement, et il semble difficile de pronostiquer avec certitude l’issue de la guerre en Ukraine. On peut néanmoins aujourd’hui dégager quelques tendances qui peuvent nous permettre sinon de deviner, tout du moins d’anticiper l’avenir – en comprenant ce qui s’est passé durant ces quatre premières semaines de guerre.
A LIRE
Nous avons désormais la certitude que le plan russe d’origine, celui de plier le conflit en quelques jours par des opérations commando et la décapitation de l’exécutif ukrainien, a été un échec.
Nous avons désormais la certitude que le plan russe d’origine, celui de plier le conflit en quelques jours par des opérations commando et la décapitation de l’exécutif ukrainien, a été un échec. La stratégie de rechange, celle de la mise en place progressive d’un rouleau compresseur inarrêtable ne semble pas elle non plus porter ses fruits, ou tout du moins pas aussi rapidement que prévu : confrontés à une résistance ukrainienne qu’ils ont très largement sous-estimée et à des problèmes logistiques récurrents, les troupes russes ne tiennent aujourd’hui quasi que des routes et même le peu de villes qu’ils occupent semblent échapper à leur contrôle en raison de l’hostilité claire des populations. Pire encore, le contrôle des airs n’est toujours pas assuré côté russe et les drones ukrainiens (les fameux Bayraktar TB2 achetés et désormais coproduits avec la Turquie) se sont fait une place dans la sainte trinité des armements ukrainiens les plus efficaces contre les Russes, avec les Javelin et les Stinger de fabrication américaine. Enfin, les pertes importantes en équipements et en troupes (y compris parmi les haut gradés) couplées aux sanctions occidentales posent la question de la soutenabilité de la guerre à long terme, que ce soit d’un point de vue purement matériel ou de celui du front intérieur, alors que des denrées comme le sucre commencent à manquer dans les supermarchés russes.
Tant que le moral des troupes reste bon, que les soldats ukrainiens ont accès aux équipements de leurs alliés et que les pertes subies ne sont pas trop importantes, les Ukrainiens semblent capables de résister sur le long terme
On sait également que l’armée ukrainienne résiste beaucoup mieux que prévu. Une fois le choc de la première attaque passé, les troupes ukrainiennes ont su s’organiser et mobiliser équipements et hommes rapidement pour infliger de fortes pertes à l’ennemi. Les Russes pensaient avoir affaire à une armée encore soviétisée et corrompue, ils doivent faire face à des soldats bien équipés et capables d’initiative – la réforme de l’armée depuis 2014 a semble-t-il été efficace. Tant que le moral des troupes reste bon, que les soldats ukrainiens ont accès aux équipements de leurs alliés et que les pertes subies ne sont pas trop importantes, les Ukrainiens semblent capables de résister sur le long terme, même si leurs contre-attaques semblent pour l’instant devoir être limitées dans l’espace et dans le temps. Autre développement, le front paraît s’être stabilisé un peu partout, ce qui tend à laisser penser que nous pourrions arriver à une impasse stratégique, un blocage du front – ce que les informations de soldats russes creusant des tranchées sur le front du Donbass semblent confirmer. Cette impasse pourrait favoriser la paix – après tout, si personne ne peut atteindre ses objectifs ultimes (le renversement du gouvernement ukrainien et l’occupation effective d’une grande partie du territoire côté russe, la libération de l’ensemble du pays côté ukrainien), on peut imaginer que le temps est mûr pour la négociation. Ce scénario optimiste a malheureusement peu de chances d’aboutir, dans la mesure où aucune porte de sortie honorable ne se profile pour les deux parties à la fois : les troupes russes ne peuvent pas se retirer sans avoir obtenu quelque chose et les Ukrainiens ne peuvent pas concéder alors que l’ennemi essuie de lourdes pertes et ne contrôle effectivement que peu de territoire en dehors des routes et de quelques villes.
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