Source [Causeur] Causeur, Valeurs actuelles, d’innombrables journalistes et de simples particuliers voient régulièrement des posts supprimés, ou se voient bannis un temps, voire définitivement de Facebook. Sans que le géant américain ne se sente obligé de se justifier. C’est notamment le cas d’un avocat, maître Éric Cusas. Suite à la rencontre avec notre collaborateur Emmanuel de Gestas qui s’était fait lui-aussi supprimer son compte, ils ont décidé d’attaquer Fabebook en justice à deux.
Comment avez-vous eu pris la décision d’assigner Facebook en justice ?
Tout simplement le jour où mon propre compte a été désactivé. Un compte que j’avais créé en 2011, initialement pour m’assurer que ma fille qui venait de s’inscrire n’allait pas avoir de mauvaises fréquentations. Petit à petit, j’ai étoffé ma liste « d’amis ». Comme je m’intéresse à la politique, j’ai partagé et commenté beaucoup d’articles à ce sujet, écrits par d’autres et écrits par moi, dans divers magazines. J’ai eu jusqu’à cinq mille « amis » Facebook, et un beau matin de janvier 2020, on m’a notifié que mon compte était désactivé, parce qu’il « ne respectait pas les standards de la communauté ». J’ai demandé ce que ça voulait dire, quels étaient ces standards, lesquels avais-je méconnu, à quelle occasion, quand, etc. On m’a répondu que je ne pouvais pas avoir plus d’informations pour des motifs de confidentialité.
Estimez-vous que ces faits doivent relever de la justice d’un État, et non de la simple relation contractuelle entre un client et une société ?
Je pense que cette affaire relève réellement de la relation contractuelle, et indirectement de la justice d’un pays, dans le sens où vous pouvez rompre un contrat, sans préavis mais en donnant un préavis confortable, à moins que ce ne soit pour faute grave. Mais encore faut-il donner la preuve de cette faute grave. En dehors de ces deux cas, c’est effectivement à la justice d’apprécier si oui ou non la plate-forme était fondée à rompre le contrat. Et c’est ce que nous allons faire d’ailleurs ! Nous allons saisir la justice, au nom d’Emmanuel de Gestas et en mon nom propre, pour faire reconnaître qu’il a été mis fin au contrat de manière inappropriée.
Sentez-vous au cours de votre tournée médiatique une attente de la part d’autres utilisateurs dans le même cas que vous, une recherche de solutions juridiques pour recouvrer leur droit ?
Je ne sais pas s’il y a une attente des gens pour trouver un professionnel du droit et lancer une action de groupe. Mais il y a manifestement eu, je l’ai constaté pendant l’émission de Sud radio tout à l’heure, une frustration qui s’exprime. Il y a eu beaucoup de questions d’auditeurs au sujet de la politique de Facebook, et les suppressions de page injustifiées. Mais la plupart des gens grommellent dans leur coin, et ne vont pas lancer une procédure judiciaire, pour faire reconnaître qu’ils ont été injustement brimés dans leur liberté d’expression. Et pour un très grand nombre de personnes, on ne sait vraiment pas pourquoi leur compte a été supprimé, Facebook se refusant à tout espèce d’explication. Un monde ubuesque.
Les réseaux sociaux étaient des espaces de liberté d’expression, parce que distincts des espaces médiatiques subventionnés par les États. Paradoxalement, lorsque que les réseaux sociaux se mettent à censurer, les citoyens se retournent en direction de l’État pour qu’il vienne mettre de l’ordre. Comment trouver un équilibre entre liberté d’expression distincte de l’État mais garantie par lui ?
Le parallèle n’est pas tout à fait exact, parce lorsque l’on s’adresse à une juridiction, pour faire reconnaître que Facebook a méconnu le contrat en y mettant fin sans préavis ni justification, l’on se place sur le champs purement contractuel, sur le droit des contrats. Bien sûr il s’agit de liberté d’expression et nous sommes frustrés parce que nous avons le sentiment que notre liberté d’expression a été méconnue. Même si nous ne savons pas en réalité la raison pour laquelle notre compte a été supprimé, parce que Facebook refuse de nous le dire, fondamentalement, on se situe sur un plan contractuel. Le problème n’est pas tout à fait là. Oui, Facebook a été un formidable outil de liberté au départ, mais de plus en plus, cet outil de liberté se réduit, et j’ai le sentiment qu’on essaie de plus en plus d’éliminer ceux dont la vision du monde à venir ne correspond pas à celle de Facebook.Vision qui coïncide -sans qu’il y ait de grand complot- à celle d’un Emmanuel Macron, d’Angela Merkel, c’est à dire vision d’un monde sans frontières, sans identité.
Votre action contre Facebook s’inscrit-elle dans une réflexion plus large, au sujet de la puissance croissance des grandes entreprises apatrides, qui prennent une place immense dans la vie des gens par le service qu’elles proposent, et qui ne sont pas régulées par des contrôles juridiques suffisamment proches du justiciable ?
Je suis confiant dans l’issue de nos actions parce que je crois que sur le plan juridique et contractuel elles sont fondées. Je suis sans illusions sur l’influence qu’elles auront sur la politique d’une société comme Facebook même si nous gagnions. Nous savons que Facebook a déjà été condamné en 2019 parce qui s’appelait alors le Tribunal de grande instance de Paris et qui s’appelle désormais tribunal judiciaire. un bon nombre de ses conditions générales d’utilisation ont été déclarées contraires au code de la consommation, abusives à l’égard des consommateurs, et donc réputées non-écrites. Facebook, si nous gagnions -et nous allons gagner- ne changera jamais ses conditions d’utilisations je n’y crois pas une seconde. En revanche, ce que vous évoquez correspond à ma conception du monde. Oui, je m’élève à titre personnel contre le fait que des entreprises puissent prendre le pas sur des États. Mon action ne changera pas la politique de Facebook, mais en revanche je me pose la question de savoir pourquoi de jeunes Français, Allemands, des Européens talentueux ne cherchent pas à mettre sur pieds une plate-forme alternative dans laquelle ils pourraient s’exprimer librement comme Facebook l’a permis à ses débuts.
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