« Qui habet aures audiendi, audiat » (Luc 8, 10)

Existe-t-il un désir plus humain que celui d’abandonner ce corps que la nature nous assigne pour le changer par un autre plus beau, plus harmonieux, plus conforme aux canons d’une beauté mise en scène dans la presse à scandale ou travestie sur les réseaux sociaux ? Bref, un corps qui nous conviendrait mieux hic et nunc ?

Ce désir naît de notre nostalgie de divinité, car – même si notre raison se résout à l’accepter ou à le refuser furieusement – notre âme sait (à la manière d’une « mémoire génétique ») qu’une existence éternelle et transhumanisée nous attend : une métamorphose mystérieuse qui nous rendra resplendissants et immortels, sans renoncer à nos corps.

Une promesse détournée

Cette vocation pleinement humaine, nourrie de promesses divines, trouva sa parodie dans l’autre promesse du serpent antique, « le plus rusé de tous les animaux que le Seigneur notre Dieu avait faits » (Genèse 3, 1). Celui-ci dit à Ève dans le jardin d’Éden :

« Vous ne mourrez point ; mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront, et que vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. »

Autrement dit, vous pourrez vous rebeller contre l’acte créateur de Dieu, renoncer aux bénéfices de la Rédemption et anticiper la jouissance d’une nature glorieuse.

Toutes les ruses du serpent antique se résument, finalement, à la promesse d’un Paradis sur Terre, anticipant la félicité de l’au-delà et glorifiant notre chair mortelle. Parmi ces ruses, aucune n’est plus suggestive que celle d’être comme des dieux, en nous affranchissant des limites biologiques de notre nature. Ainsi, l’homme cesse d’être créature pour se transformer en son propre créateur.

Dante et le véritable transhumanisme

C’est Dante Alighieri – homme politique et poète, penseur de la cité et voyageur visionnaire de l’au-delà – qui, dans le Chant I du Paradis, fut le premier à employer le terme transhumanisme. Il l’utilisa pour évoquer la dernière étape de l’homme : atteindre, après la mort, la plénitude de l’être, en passant de la condition de ver à celle de papillon.

Nous retrouvons cette idée dans le Chant X du Purgatoire :

**« Chrétien présomptueux, ô pauvre malheureux
dont l’esprit mal portant a si courte la vue
qu’il prend pour de l’avance une marche à rebours,

n’as-tu donc pas compris que nous sommes des vers
d’où se dégagera le papillon céleste
pour voler droit vers Dieu, sans craindre les écueils ? »**

Et encore dans le Chant I du Paradis :

« Être transhumain ne peut s’exprimer
per verba ; mais que l’exemple suffise
à qui la grâce réserve cette expérience. »

Ce concept, utilisé par Dante, sera repris sept siècles plus tard dans un tout autre sens par le biologiste et eugéniste Julian Huxley (frère d’Aldous, auteur du Meilleur des mondes).

Julian Huxley et le transhumanisme détourné

Dans Religion sans révélation (1927), Julian Huxley écrit :

« L’espèce humaine peut, si elle le souhaite, se transcender elle-même – pas seulement de façon sporadique, un individu ici, un individu là – mais dans son intégralité, en tant qu’humanité. »

« Il nous faut un nom pour cette nouvelle croyance. Peut-être le terme transhumanisme fera-t-il l’affaire : l’homme restant l’homme, mais se transcendant lui-même, en réalisant de nouvelles possibilités de et pour la nature humaine. »

Toute la pensée transhumaniste repose ici sur une vision « extra-terrestre » de l’être humain, où nos limites biologiques, notre matérialité et notre vulnérabilité sont perçues comme des obstacles à surmonter pour une véritable émancipation humaine.

Huxley détourne ainsi le terme de Dante en une parodie perverse, à l’image du serpent antique qui transforme l’alliance divine en une fausse promesse. La transhumanisation cesse d’être une récompense divine qui permet à l’homme de dépasser ses souffrances pour devenir une simple construction humaine, où la chimie, la chirurgie et la technologie remplaceraient la rédemption.

Ainsi, par l’usage d’inhibiteurs d’hormones, du bistouri et de l’intelligence artificielle, l’homme chercherait à atteindre, dès cette vie, la métamorphose en un corps glorieux. Cette caricature grotesque de l’acte créateur de Dieu et des promesses de l’au-delà devient aujourd’hui plus enseignée et médiatisée que les œuvres d’Aristote, Homère, Saint Thomas d’Aquin ou Molière.

Une vieille hérésie sous un masque moderne

Dans ses Neuf cents conclusions philosophiques, cabalistiques et théologiques (1486), Giovanni Pico della Mirandola fait parler Dieu – ou plutôt le serpent antique – en ces termes :

« Je ne t’ai donné ni place déterminée, ni visage propre, ni don particulier, ô Adam, afin que ta place, ton visage et tes dons, tu les veuilles, les conquières et les possèdes par toi-même.
[...] Tu pourras dégénérer en des formes inférieures, comme celles des bêtes, ou régénéré, atteindre les formes supérieures qui sont divines. »
(Discours sur la dignité de l’homme, 1486-1487)

En lisant ce passage, précurseur de l’idéologie trans, il apparaît que ce que notre époque appelle de nouvelles idées ne sont en réalité que les vieilles hérésies de toujours, commodément reformulées.

Au fond de l’idéologie trans réapparaît l’ancienne erreur qui considère le corps comme une prison à briser pour atteindre la plénitude.

Face aux promoteurs de cette vieille hérésie, qui continue de détruire tant de vies sous prétexte de les améliorer, il ne reste qu’un seul rempart : la Bonne Nouvelle chrétienne, aujourd’hui plus scandaleuse et subversive que jamais :

Notre corps, voué à la décrépitude et à la mort, sera transhumanisé... mais au coin de la rue et pour l’éternité.

Thierry Aillet
Ancien Directeur Diocésain de l’Enseignement Catholique d’Avignon