Source [Boulevard Voltaire] Pour le 11 Novembre, chaque média y va de son sujet sur la Grande Guerre. Plus de poilus à interviewer, bien sûr, mais de vieilles photos, des lettres, des souvenirs, des descendants qui peuvent témoigner. Et rendre hommage. Car c’est la vocation de ces dépôts de gerbe, minutes de silence, discours grave, prises d’armes devant les monuments aux morts… et même de ce jour férié tout entier : « Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie ont droit qu’à leur cercueil la foule vienne et prie. »
En ce 11 novembre 2019, France 2 a choisi, pour cet « hommage » au journal de 20 heures, un angle très spécial. La chaîne s’est intéressée au soldat Edmond Moreau – prénom et nom courants dans la France de l’époque et donc sur les monuments aux morts d’aujourd’hui – et sur son retour du Chemin des Dames « dévasté », qui a conduit à rendre « la vie de famille dramatique ». Gros plan sur sa petite-fille qui compulse les albums, non pas pour s’émouvoir mais pour dénoncer : il a battu sa femme (régulièrement) et l’a violée. La dame grisonnante de pointer d’un doigt très affirmatif un garçonnet souriant sur une photo de la famille réunie : là, c’est l’enfant du viol !
On saluera l’efficacité du procédé, France 2 a ainsi pu traiter deux « actus » en un : la Grande Guerre et les violences faites aux femmes.
Que cette histoire soit vraie est possible, nul ne peut accuser gratuitement cette femme d’affabuler. Mais si elle est individuellement exacte, elle est collectivement fausse. Et pour une chaîne publique, prendre sciemment comme exemple emblématique des poilus – donc pour représenter tous les autres – un soldat violent et violeur, salir ainsi les souffrances de millions de Français en leur prêtant des séquelles criminelles est révoltant. D’autant plus révoltant que tout cela semble relever de l’histoire cachée, du secret d’alcôve bien gardé, de ces turpitudes honteuses qu’une génération de femmes opprimées n’aurait peut-être – qui sait ? – pas osé révéler, pour ne pas écorner la légende et l’aura du guerrier. C’est désormais d’un autre œil que l’on va regarder le moustachu galonné à képi qui pose en photo noir et blanc sur le piano.
Le temps passe et un lent glissement s’opère… en octobre 1927, on voyait en couverture du Souvenir français le touchant spectacle (dessin d’André Lagrange) d’une mère et ses enfants fleurissant une tombe. Un casque surplombe la croix, et l’on peut lire sur la légende : « SOUVIENS-TOI… Il est mort pour que tu restes FRANÇAIS. »
Depuis quelques dizaines d’années, le discours sur le sujet s’infléchit. Le héros devient peu à peu victime. La guerre de 14 a été une boucherie qui a saigné l’Europe, dressant des Allemands contre des Français que, culturellement, tout rapprochait. Jusque-là, tout le monde est d’accord. Mais surgit en filigrane cette interrogation insidieuse : cette France et ses frontières méritaient-elles tant de sacrifices ?
Puis est venu le temps de réhabiliter les déserteurs. Voire, étape suivante, de les sacraliser. Ne faut-il pas voir en eux, d’une certaine façon, les premiers résistants quand les autres, en allant mourir sur le front, n’étaient que de dociles moutons de Panurge, victimes consentantes montant à l’abattoir.
Et, cette année, une marche est encore franchie dans le grand brouillage des valeurs et du discernement : la victime est si victime qu’elle se mue en bourreau. Et si, in fine, la « vraie » victime de cette guerre était la femme, celle qui ne figure (injustice suprême) sur le monument aux morts ? Allons jusqu’au bout de la logique, ce n’est pas Florence Parly qui aurait dû être aux côtés d’Emmanuel Macron, pour la commémoration, mais… Marlène Schiappa !
On ne sait plus très bien si l’on honore les morts ou si l’on balance les porcs. Il y a un an, jour pour jour, à Chambéry, les gerbes déposées devant le monument du 11 novembre avaient été saccagées. Ces faits divers-là devraient alerter. Dans un contexte de perte du sacré généralisé, ce genre de reportage fait-il vraiment preuve de responsabilité ?
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