THÉRÈSE, " ambassadeur de la France " ?
Calmons-nous. Sainte Thérèse de Lisieux ne représente pas toute la France, mais la petite carmélite de Normandie représente beaucoup plus que la France.
Son ministère de compassion a pu réconforter aussi bien les dragons du 6e régiment — celui de Bernanos — tombés de leurs chevaux dans la boue des tranchées, que les grenadiers autrichiens du Kronprinz, déchiquetés sur la herse des barbelés. Son doux sourire volontaire et plein d'indulgence aura séduit sans distinction Édith Piaf et le peuple brésilien. " Vous verrez, tout le monde m'aimera ! " confiait-elle avec ingénuité. Il suffit de passer quelques heures à Lisieux parmi les pèlerins du monde entier pour se persuader que son message d'héroïsme au quotidien sur le chemin de la Résurrection n'appartient à personne en exclusivité. La promesse de la sanctification par une offrande d'amour est devenu le trésor secret de millions de gens simples sous toutes les latitudes.
André Malraux disait : " Bien qu'elle symbolise la patrie, Jeanne d'Arc accède à l'universalité. " Pour sainte Thérèse de Lisieux, il semble qu'on assiste au mystérieux phénomène inverse. Revendiquée par tous depuis un siècle — Pie XI la proclamera patronne des missions — elle renvoie aujourd'hui aux Français étonnés son visage passionné dans lequel le monde entier reconnaît leur pays. Thérèse fut apparemment confisquée à la France : elle est bien plus vivante dans le cœur d'une mère zaïroise et d'un séminariste vietnamien que dans sa châsse dorée de la basilique normande. Mais un siècle après le départ de sa course autour du monde, voilà qu'elle revient vers la France, dévoilant son visage par-delà les frontières, souriant et généreux : aux États-Unis, la procession de ses reliques provoque bien plus d'émotion que la conférence de presse d'une actrice française qui joue le charme dans le treizième épisode de James Bond.
Thérèse, c'est beaucoup plus que la France. Mais Thérèse représente aussi ce que la France a de mieux à offrir au turbulent collège des nations. " Thérèse est sans doute celle qui porte le plus loin en notre temps le visage aimé de la France " a écrit le cardinal Poupard. Qu'est ce que le sourire de la carmélite apprend de la France au monde ? Qu'est ce que l'étrange destinée internationale de Thérèse révèle aujourd'hui aux Français sur leur mission universelle ? Bernanos nous l'explique : il s'agit du courage, de la charité et de la vérité. Le courage au service de la vérité. Le courage désarmé au service de la charité efficace. C'est la leçon pour nous, héritiers de toutes mains, et pourtant blasés, las de porter le fardeau d'un destin national exigeant. " Le monde reconnaît la France lorsqu'elle devient pour tous les hommes une figure secourable, et c'est pourquoi il ne perd jamais toute confiance en elle " disait un Malraux plein d'expérience. Le révélateur de notre richesse nationale, c'est moins la cotation de la bourse de Paris que le rayonnement invisible d'une grâce attentive. Car depuis que Thérèse est entrée dans la vie, le prix Nobel de la compassion est revenue souvent à des Français, médecins, intellectuels, savants, soldats ou braves hommes qui ne sauraient se référer à la petite carmélite, mais qui n'en sont pas moins entrés dans son jeu, par la communion des saints.
" Une petite carmélite tuberculeuse, par l'observation héroïque de devoirs aussi humbles qu'elle même, a pu obtenir la conversion de milliers d'hommes, ou même — pourquoi pas ? — la victoire de 1918. " La suggestion de Bernanos vaut toujours. Nous ne pouvons mesurer l'aide que Thérèse apporte dès maintenant à son pays pour les nouvelles batailles qu'il doit affronter, l'éternel combat de la France pour la vie, pour la liberté et la vérité.
PHILIPPE VERDIN, O.P.