Source [Boulevard Voltaire] L’un des moyens de diaboliser un homme public est de l’affubler d’une appartenance à l’« extrême droite ». Les parents du général de Gaulle étaient des catholiques fervents, des patriotes ardents et conservaient une sensibilité monarchiste, viscérale chez Jeanneg selon Philippe de Gaulle, son petit-fils. Mais le classement des personnes dans des cases étroites, cette tendance malheureuse et stupide qui se répand de plus en plus, aujourd’hui, où l’on réintroduit même la couleur de la peau, se heurte à la complexité mouvante du réel : comme chez beaucoup de légitimistes, la foi l’emportait sur la politique et déterminait chez eux l’épanouissement d’une fibre sociale.
D’une grande rigueur morale, Henri, le père, était dreyfusard. Charles de Gaulle laisse percer cet héritage : s’il est sensible à la gloire napoléonienne, il écrit à plusieurs reprises que le grand homme a laissé la France plus petite qu’il ne l’avait trouvée. Dans La France et son armée, le jugement sur Napoléon est mitigé. Celui sur la monarchie l’est beaucoup moins : hommage à Louvois, d’abord, et, surtout, insistance sur les capacités militaires réunies par Louis XVI qui ont permis sa victoire contre les Britanniques et l’indépendance des États-Unis, et qui ont été au cœur des succès de la Révolution et de l’Empire.
De Gaulle n’affiche pas nettement de position politique entre les deux guerres. Il sera proche de Pétain, qui est considéré comme un maréchal républicain. Il rencontrera Blum pour lui exposer ses théories sur l’armée de métier et les blindés. Celui-ci aura une attitude typiquement socialiste, bêtement idéologique, mettant la politique intérieure avant l’intérêt national : il craignait que cette armée ne devînt celle d’un coup d’État ! De Gaulle ne sera compris et suivi que par Paul Reynaud, qui en fera un sous-secrétaire d’État, source de la légitimité « républicaine » de l’homme du 18 juin. Néanmoins, nombre de ceux qui le rejoignent dès le début de sa « Résistance » sont, en fait, des hommes d’extrême droite, peu attachés à la République mais bien davantage à la France, membres de l’Action française et parfois cagoulards. Le colonel « Rémy », Honoré d’Estienne d’Orves, Philippe de Hauteclocque (qui deviendra le maréchal Leclerc) seront parmi les premiers.
De Gaulle avait un idéal, en fait très concret : il voulait une France la plus forte possible, condition inéluctable pour assurer la liberté et la prospérité des Français. Cet idéal de bon sens, il ne le voulait ni de droite ni de gauche, mais malgré lui, il penchait à droite dans la mesure même où la gauche a systématiquement affaibli la France politiquement, économiquement et militairement. Alors, on pourra constater ses efforts durant la guerre pour rallier à lui la gauche radicale et socialiste afin de ne pas laisser le poids des communistes devenir trop lourd et on pourra, de même, insister sur le fait que, parmi ses adversaires les plus résolus, se trouvaient les nostalgiques de Vichy et les partisans de l’Algérie française qui se réunirent, en 1965, derrière Tixier-Vignancour et contribuèrent à une élection plus difficile que prévue. Mais quand on regarde les motivations de sa politique algérienne telles qu’il les rappelle dans ses Mémoires d’espoir, on perçoit qu’elles étaient nourries par l’exigence de l’intérêt national plus que par un « droit » abstrait.
Qui imaginerait que la continuité de la France et de son État, inséparable de l’unité nationale et de l’indépendance du pays, l’essence même du gaullisme en 1940, puisse s’accommoder de la situation que les politiciens qui se sont succédé au pouvoir ont créée : un archipel multiculturel, des îlots perdus, une démocratie légitime soumise à la technocratie bruxelloise, une France à la remorque de l’Empire américain ? Si résister à cette dérive, c’est être d’extrême droite, alors il faudrait en conclure que de Gaulle était d’extrême droite, ce qui est absurde. Il était ardemment patriote, idéaliste dans ses buts et réaliste dans les moyens déployés pour les atteindre.
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