Source [Le Salon Beige] Ancien responsable de la DGSE dans les années 1980, puis fortement engagé dans la montée en puissance des opérations spéciales (COS) dans les années 1990, Xavier Guilhou est un spécialiste reconnu de la prévention des risques, de la gestion des crises et de l’aide à la décision stratégique. Dans l’entretien qu’il a accordé à Bruno Racouchot, directeur de Comes Communication, il déclare :
[…] Quand on utilise le mot “guerre” vers les populations avec à côté le terme d’”urgence sanitaire” pour le corps médical, l’écart est tel qu’il génère immédiatement du doute, de l’inquiétude voire de la contestation dans le mode de pilotage de la crise. D’autant que la résonance des autres postures au niveau international interpelle sur la véritable nature de la crise. Quand d’autres pays voisins passent en mode “état d’urgence” ou “état d’exception”, personne ne comprend que dans un monde théoriquement globalisé, il y ait autant de différences sémantiques et juridiques…
Tout ceci contribue à fractaliser les modes de représentation et à douter des choix retenus par les exécutifs, voire à s’imaginer que nous sommes victimes de complots… La rumeur devenant plus virale que le virus lui-même… Les mots choisis, les postures retenues, la façon d’expliciter les priorités sont déterminants. A partir du moment où, pour appliquer le principe de précaution, vous donnez le pouvoir dès le départ aux médecins sur ce type événements, qui n’est pas que technique, vous perdez immédiatement en crédibilité sur le plan stratégique. Puis, lorsque vous le reprenez, toujours en vous protégeant derrière de multiples comités Théodule, pour le passer au monde sécuritaire et militaire, sans pour autant prendre les décisions qui s’imposent, vous perdez toute légitimité sur le plan stratégique. Le risque, c’est petit à petit de glisser dans un pilotage dégradé où vous ne ferez plus que du commentaire de chiffres et où vous ne pourrez que constater l’écroulement de vos dispositifs de survivance. C’est un peu mai 1940 ! Sur une pandémie comme le Covid-19 qui est mondiale, et qui est de l’ordre non pas d’une crise classique mais d’une grande catastrophe planétaire, il faut tout de suite et en peu de mots incarner et injecter du sens. […]
Je suis stupéfait par l’incapacité collective des circuits de décision – notamment étatiques – à remettre en cause un tant soit peu la complexité de l’ensemble de leur planification, avant tout pour des motifs d’ordre idéologique. Marc Giroud, qui fut l’un des fondateurs du Samu et de la médecine d’urgence en France, disait volontiers que, quand survient une crise majeure, la première victime, c’est le plan. En effet, pour ne pas se laisser submerger par les événements, il faut être capable, à très grande vitesse, de reprendre des bribes de tout ce que l’on a mis au point comme modèle d’organisation, puis de repartir d’une page blanche et de reconstruire le plan en urgence, adapté à la nature du problème à traiter. Or, aujourd’hui, on est dans une situation diamétralement inverse. Que va-t-il se passer lorsque les digues cèderont une à une, hôpitaux débordés, sécurité dépassée…? Bref, on essaie de contenir mais sans faire montre de notre capacité à s’adapter. Avec à la clé un dangereux effet domino qui risque fort de survenir, que l’on tente tant bien que mal de contenir. Une telle posture interdit mentalement la prise en compte des réalités et par conséquent, rend impossible un réel pilotage de crise. Tout cela pour ne pas avoir su s’extraire de la complexité et en revenir enfin à des choses simples. Notre mental est bloqué par nos partis-pris idéologiques, lesquels engendrent un déni permanent de réalité.
C’est d’autant plus frappant que nous sommes dans une logique de submersion. Prenons un exemple. Pourquoi ne pas avoir associé plus tôt les hôpitaux et cliniques du privé, pour héberger les gens et pouvoir les traiter, et ainsi répartir et ajuster les efforts ? Il nous a fallu un mois pour simplement commencer à envisager cette hypothèse… En France, force est de constater que la dimension idéologique est un vrai carcan. C’est même le principal problème. Et ça vaut autant pour le public que pour le privé, voir à ce sujet le rôle-clé de certains financiers qui rechignent à changer quoi que ce soit dans leurs process pour ne pas mettre en péril de fragiles équilibres financiers. Ces partis-pris idéologiques sont malheureusement caractéristiques de la culture française. Regardons les Allemands comme les Américains, lesquels sont les uns et les autres des pragmatiques. Aux USA, you’ve to do it, sinon c’est la communauté entière qui s’effondre. On doit tout mettre en œuvre pour s’adapter aux contingences et faire face. En Allemagne, la culture démocratique repose sur le pragmatisme local, avec une adhésion à la base qui cherche à être la plus large possible, et quand la décision est prise, on avance ensemble et on ne discute plus. Et ça marche. En France, en revanche, nous sommes à rebours de cela, enfermés dans des positionnements idéologiques déconnectés du réel et par conséquent incapacitants. Chez nous, tout est maîtrisé par le régalien, au plus haut niveau. Et ce, sans écouter les gens de terrain, qui, eux, ne savent pas quoi faire et sont, soit résignés, soit irrités. Ils doivent se contenter d’attendre sagement la parole du Président, lequel, au nom du sacro-saint principe de précaution – autre particularité à la française dont on se serait bien passé – abrite sa parole derrière des kyrielles de comités d’experts. Comment s’étonner dans ces conditions que la population n’ait plus confiance en la parole officielle et n’accorde plus de crédit aux discours des autorités ?”
De son côté, François Bert montre que nous avons à la tête du pays, des incapables, uniquement soucieux de leur communication :
[…] Plus que jamais, cette situation souligne à quel point nous souffrons aujourd’hui en politique d’un problème de casting. Regardons en parallèle les allocutions du Professeur Philippe Juvin, directeur des urgences de l’hôpital Pompidou et celles du Président. Le premier ne se prononce que sur les sujets pour lesquels il aura une possibilité d’action réelle, le second s’engage sur des résolutions qu’il ne tient pas (Cf. notamment la distribution de masques), le premier ne parle qu’à proportion de ce qu’il sait, avec humilité, le second enseigne et fait la leçon, alors que ses préconisations précédentes ont été désavouées par les faits, le premier évite les polémiques inutiles, s’abstenant de parler du passé et ralliant les repentis, le second n’hésite pas à introduire de l’idéologie dans son discours , le premier prend des risques (appel au dépistage et à la production massive de chloroquine), le second les évite, le premier a une parole rare, concise, ferme et opérable, le second est omniprésent, bavard, ambivalent et théâtral, le premier est un chef, dont on sent qu’il est naturellement doué pour le discernement (et bien à sa place aux urgences), le second est le pur produit d’une politique basée sur la vente, qui, à force de s’aimer pour elle-même ne sait plus écouter un contexte extérieur et encore moins trancher. […]
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