Source [Atlantico] Des décennies de violence et d’échecs sociaux expliquent l’explosion américaine. Mais les "coupables" sont beaucoup plus nombreux qu’il n’y paraît et les racines infiniment plus complexes que celles d’un racisme structurel.
Atlantico.fr : Après la mort de Georges Floyd, un afro américain décédé à la suite d'une nouvelle bavure policière, de nombreuses voix se sont élevées dans la manifestations aux États-Unis mais aussi sur les plateaux de télévision françaises pour dénoncer un racisme structurel aux États-Unis. Cette analyse suffit-elle à expliquer la question des bavures policières aux États-Unis ?
Barthélémy Courmont : Il convient d'abord de préciser ce que l'on entent par "racisme structurel". Le racisme d'Etat, comme on le décrit souvent, conceptualise un ordre social hiérarchique qui est étroitement associé à la manière de conduire la politique au profit d'un groupe dominant, selon Michel Foucault. Il s'oppose ainsi au racisme individuel dont les fondements et la pratique sont propres à chacun et qui ne se traduit pas nécessairement par une institutionnalisation politique. Il est donc structurel en ce qu'il sert de base à une idéologie distinguant des groupes - ou des races - et en les hiérarchisant, pour ensuite légitimer et parfois légaliser des pratiques discriminantes. Le nazisme pratiqua un racisme d'Etat en ciblant les juifs comme une race inférieure, et plus près de nous l'Afrique du Sud de l'Apartheid pratiqua également un racisme d'Etat en institutionnalisant la ségrégation raciale. La ségrégation raciale aux Etats-Unis était jusque dans les années 1960 institutionnalisée dans certains Etats, ce qui conduisit au mouvement des Civil rights. Dans ces différents cas, l'appartenance à un groupe victime de ségrégation se traduisait par des droits plus limités, voire nuls, pour certaines communautés.
Dans la situation actuelle, considérer que les Etats-Unis en tant qu'institution favorisent ce type de racisme structurel semble exagéré, et c'est par conséquent plutôt l'autre définition du racisme structurel, à savoir une hostilité systématique ou quasi-systématique envers certaines personnes en raison de leur couleur de peau ou leurs origines, qui semble mieux décrire le malaise profond que rencontre la société américaine. Cela signifie que c'est dans la pratique que le racisme s'exprime, et pas dans les structures politiques américaines ou des institutions hiérarchisées. Et cela se retrouve dans une forme de suspicion à l'égard de "l'autre", un délit de faciès en quelque sorte. Ainsi, on compte une surpopulation de noirs dans les prisons américaines. Sans doute l'assassin de George Floyd est-il, dans ce cas, raciste à la fois en tant qu'individu (comme semble en témoigner son profil et son passif) mais aussi du fait d'une suspicion à l'égard de sa victime que sa couleur de peau a rendu à ses yeux potentiellement coupable, là où il n'aurait pas traité de la même manière une autre personne. Il exprime ainsi à la fois un racisme individuel et un racisme structurel, mais cela ne signifie pas que c'est son institution, la police de Minneapolis, qui est raciste. On peut, sur la base de ce racisme institutionnel, faire mention des préjugés dont sont victimes les personnes de certaines races ou certaines couleurs, et c'est visiblement ce dont il est état dans le cas de la mort de George Floyd.
Le racisme structurel suggère également un racisme qui ne serait pas intentionnel, et qui s'exprimerait par la force des habitudes, distinguant notamment les blancs des autres peuples, en vertu d'un passé colonial fortement ancré dans les mentalités. Cette lecture apporte des éléments de réflexion intéressants, mais elle est aussi assez excessive en ce qu'elle pointe du doigt un suprématisme blanc qui ne serait pas seulement le fait de groupes extrémistes, mais porté souvent sans le vouloir par l'ensemble des blancs. Or, on voit bien que la mobilisation qui suit la mort de George Floyd ne se limite pas à une communauté, et que l'opinion publique est majoritairement soudée pour condamner ce crime racial. Ce qui doit nous interroger sur les motivations de ces manifestants, en plus de la condamnation d'un acte répréhensible. On voit derrière l'exaspération des manifestants une immense frustration, dont les inégalités sociales - amplifiées par la crise économique profonde dans laquelle entre ce pays, avec des dizaines de millions de chômeurs et quasiment aucune protection sociale, et par une crise sanitaire qui frappe fortement les plus démunis - sont le principal terreau. Ces classes laborieuses sont aussi des classes dangereuses, pour paraphraser l'historien Louis Chevalier. La discrimination à l'égard des plus défavorisés est une triste réalité américaine, et elle converge souvent avec la discrimination, à plus ou moins grande échelle, dont sont victimes certaines communautés. Mais d'un Etat à l'autre, on voit bien que ces communautés ne sont pas toujours les mêmes. Noirs, hispaniques… le racisme aux Etats-Unis n'est pas plus hiérarchisé à échelle nationale qu'il n'est institutionalisé, mais il est déterminé par des réalités locales.
Franck DeCloquement : La presse internationale se déchaine, l’hystérie est à son comble et la situation est clairement explosive. Les émeutes qui se multiplient aux Etats-Unis ces derniers jours, telle une trainée de poudre depuis le décès de George Floyd à Minneapolis le 25 mai, prospèrent sur le très fort sentiment d’un racisme rampant et persistant dans le pays à la bannière étoilée.
Une explosion de violence légitime pour un ras-le-bol social évident ? La question enflamme en tout cas les réseaux sociaux et cristallise toutes les attentions internationales, mais aussi tous les ressentiments et les rancœurs de la communauté noire qui se juge ouvertement discriminée. Sans oublier naturellement l’électorat adverse qui se mobilise en coulisses… Celui de Donald Trump en l’occurrence, très fortement indigné par les scories de cet embrassement communautaire destructeur, au regard du profil criminel de George Floyd. Car à défaut de convaincre à travers ce que les démocrates pourraient apporter à la communauté noire américaine, c'est bien la réponse sécuritaire de Donald Trump qui pourrait l’emporter face aux inquiétudes montantes de la majorité blanche, si elle devait prévaloir dans les urnes en novembre prochain, et faire l’élection.
Dans les images largement diffusées de son arrestation, Floyd est vu au sol, les mains jointent et menottées dans le dos, alors que l'officier de police Derek Chauvin le clouait contre le trottoir jusqu'à ce que celui-ci perde connaissance et meure un peu plus tard. Alors, racisme structurel aux Etats-Unis ? Les choses sont complexes, et les facteurs explicatifs sans aucun doute multiples. On ne saurait tous les lister ici. Mais revenons un instant sur le profil de la victime. Pour ce qui le concerne, George Floyd avait déménagé en 2014 dans le Minnesota, à Minneapolis, pour entamer une nouvelle vie. Et cela, peu de temps après sa libération de prison au Texas. Mais cette quête d'une vie meilleure s'est terminée tragiquement lors de l’arrestation policière violente : Floyd a eu à cette occasion le souffle coupé lorsqu'un officier s'est agenouillé sur son cou pendant huit minutes environ, alors qu'il l'arrêtait pour avoir prétendument payé un dépanneur avec un faux billet de 20 dollars. Bien qu’il ait changé son mode de vie depuis plus d’une décennie, l’homme n’était toutefois pas un inconnu dans les fichiers de la police judiciaire américaine puisque multirécidiviste. Floyd a eu au moins cinq séjours en prison. D'abord arrêté pour vol quand il avait une vingtaine d’années, il fut ensuite arrêté pour vol à main armée en 2007. Selon les archives judiciaires, il avait plaidé coupable pour avoir pénétré à l’intérieur du domicile d'une femme, pointé son arme sur le ventre de celle-ci et fouillé le domicile de la victime pour tenter de trouver de la drogue et de l'argent. A l’issue, Floyd a été condamné à cinq ans de prison en 2009. Floyd avait aussi été condamné à 10 mois de prison pour avoir consommé moins d'un gramme de cocaïne lors d'une arrestation en décembre 2005. Condamné à huit mois de prison, il le fut pour la même infraction, mais résultant d'une arrestation en octobre 2002 cette fois. Floyd a aussi été arrêté en 2002 pour intrusion criminelle, et purgé 30 jours de prison à cet effet. Il avait également eu un autre passage en détention pour un vol en août 1998. Floyd avait encore été condamné deux fois dans les années 1990 pour vol et livraison de substance contrôlée.
Pour autant, aucun des officiers de police impliqués dans l’arrestation ayant entraîné la mort de cet homme de 46 ans n'aurait pu être au courant de ses antécédents criminels, datant de plus d'une décennie au moment de l’interpellation qui lui fut fatale.
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