Pas plus de suspense car vous vous doutez de la réponse : ceux qui soutiennent massivement la réforme sont les retraités actuels, ceux qu’elle ne concernera pas, n’embêtera pas et qui peuvent même considérer que les efforts demandés aux quadras que nous sommes (et aux autres) permettront de conforter le financement de leurs pensions. Ces gens-là ont voté (en majorité) pour leurs intérêts en 2017 et, entre Macron et eux, c’est une histoire à la vie à la mort : ils ont vu en lui le garant de leurs conforts, financier, social, sécuritaire.
Je sais que sur Boulevard Voltaire, on se méfie de la mode « OK, boomer », ce cri vindicatif des jeunes générations. Je sais qu’il faut respecter toutes ces têtes chenues qui passent leurs hivers au soleil et nous donnent des conseils de sagesse, de tolérance et de macronisme. Mais…
Mais s’il fallait une preuve de la rupture générationnelle (et sociale) que nous vivons, la réforme des retraites et ses modalités précisées par Édouard Philippe en fourniraient une bonne.
En effet, cette réforme est d’abord un grand rapt financier que le gouvernement ne cache même plus. Sinon, pourquoi sort-il, dans la plus grande précipitation, et au mépris de tous ses engagements budgétaires, un plan de revalorisation des traitements des enseignants de plusieurs milliards d’euros ? C’est valider les craintes qu’il a d’abord balayées et c’est révéler sa piètre gestion des finances publiques. Les retraités devraient y réfléchir.
Le même gouvernement a compris que la population active, les 18-62 ans, était opposée à la réforme qui lui est destinée. La rupture générationnelle a été d’emblée consommée. Selon un sondage Elabe publié le 11 décembre, 54 % des actifs sont opposés à la réforme, les ouvriers et les employés à 56 %, les professions intermédiaires à 60 % et la fonction publique à 65 %.
D’où, sans doute, l’idée d’Édouard Philippe de casser ce bloc, en mettant le curseur sur 1975, imaginant que les enfants des boomers, ces déjà presque vieux de 45 ans et plus, allaient ainsi rejoindre les cohortes bien sages de retraités soutenant la réforme, adoptant le réflexe après-moi-le-délugiste de leurs parents.
Édouard Philippe a commis deux erreurs. D’abord, ces « avant 1975 » savent déjà que les réformes antérieures ont amputé (par la décote et l’augmentation des annuités nécessaires) leurs retraites dont l’âge ne cesse de reculer à mesure qu’ils croient s’en rapprocher. Ensuite, leur dire qu’ils seront eux aussi concernés par l’âge pivot de 64 ans, avec un nouveau malus à la clef, n’a fait que les pousser dans le camp de la révolte.
Jouer sur l’égoïsme des comportements peut aussi se retourner contre vous. Sans compter qu’il n’est pas à exclure que ces générations des 45-60 ans aient aussi le sens de l’intérêt général, et de la solidarité des générations, avec celle de leurs parents, mais aussi avec celles qui montent, celles de leurs enfants. C’est ce que traduit un sondage IFOP pour le JDD paru dimanche : le nouveau système pour les actifs nés après 1975 et la création d’un âge d’équilibre à 64 ans sont rejetés par 54 et 63 % des Français.
En somme, qui soutient encore la réforme des retraites ? La génération Delevoye. Ainsi baptisée, peut-être comprendra-t-elle mieux la colère que suscitent cette réforme et, au-delà, le macronisme auquel elle est de plus en plus assimilée ?
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