France [Marianne] Contrôlé le 22 mars par la police, j'ai été jugé et condamné pour déplacement interdit pendant le confinement, sans que je ne le sache. Le motif semble être… ma tenue vestimentaire, pas assez sportive au goût des fonctionnaires.
Comment naissent les révolutions ? Probablement plus souvent qu'on ne le pense par une lettre recommandée avec accusé de réception. La mienne a été postée le 17 novembre. Elle émane du tribunal de police de Paris. En ouvrant le pli avec curiosité, j'y apprends que par une ordonnance pénale du 8 septembre 2020, j'ai été "reconnu coupable de déplacement hors du domicile interdit dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19". Les 135 euros de prune me sont réclamés, on y a même ajouté 31 euros de "droit fixe de procédure". "Mais j'ai rien fait !", me surprends-je à m'égosiller. Formule qui me ramène instantanément à mes dix ans, quand on m'avait scandaleusement accusé d'avoir copié en dictée. Depuis, je me suis toujours tenu à carreau, avec succès. Je suis d'autant plus sidéré que j'ignorais jusqu'à l'existence de ce procès. On m'a jugé et condamné dans mon dos.
Les seuls indices de ce qu'on me reproche sont la date de l'infraction, le 22 mars, et le lieu, une rue à 70 mètres de chez moi. J'ai été contrôlé une seule fois pendant le premier confinement. La date et l'endroit coïncident. C'est donc forcément à partir de cette courte interaction que le tribunal m'a cloué au pilori. Ce fut un étrange moment, dont j'étais sorti avec la certitude d'avoir échappé à une amende injuste. À tort. Je vais essayer de vous raconter cette brève rencontre de la façon la plus précise qui soit.
Ce 22 mars, donc, pour la première fois depuis le début du confinement, je sors prendre l'air, avec ma compagne (pardon de cette mention bien impudique de ma vie privée, la mise en branle du Léviathan étatique m'oblige à une parfaite transparence). Je mets un pull, un jean et des chaussures de ville à bout rond de la marque Clarks (c'est important pour la suite de l'histoire). Nous avons coché la case "déplacements brefs, dans la limite d'une heure, liés à l'activité physique individuelle", à laquelle il a été précisé par décret qu'il s'appliquait aussi "à la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile".
Après un tour du pâté de maisons, nous croisons deux agents en uniforme. Police, vos papiers. J'extirpe mon attestation de ma poche et la tends à la dame qui fait office de leader charismatique du duo. Dans ma tête, je suis assez fier de moi. Tout a été noté avec attention, au stylo noir et non au crayon à papier, car j'ai lu qu'une personne avait été verbalisée sur ce fondement. On n'est jamais trop prudent. Je m'attends donc à un satisfecit de la représentante de l'État. Mais la dame-leader fronce les sourcils. "Vous n'êtes pas en tenue de jogging", qu'elle dit, glaciale. Dans son esprit, on n'aurait pas le droit de sortir si ce n'est en survêtement-baskets, car l'attestation mentionne "l'activité physique". Je sais alors que c'est faux, ayant écouté Christophe Castaner expliquer, le 16 mars, que "l'on pourra prendre l'air" (l'extrait est retrouvable sur ce site qui dépend du gouvernement) ou promener son chien. Aucune mention d'une tenue décontractée exigée. Ayant appris qu'il ne faut jamais tenir tête à un policier, je roule intérieurement des yeux mais reste coi.
La dame charismatique enchaîne : "Et vous n'avez pas à être ensemble". Je lui fais alors remarquer que nous avons le même domicile, ce qu'elle peut contrôler sur nos attestations. Elle ne répond rien, nous demande nos papiers d'identité. Vérifie que les informations concordent. Puis elle nous rend le tout, lâche froidement : "Ok, rentrez chez vous". À aucun moment, la fonctionnaire ne mentionne que je vais écoper d'une amende (ma compagne, pour une raison inconnue, n'a rien reçu). Elle devait pourtant l'avoir prévu puisqu'elle a manifestement noté toutes les informations qui me concernent (date et lieu de naissance, nouvelle adresse) pour me retrouver ensuite. Drôle de façon de faire. Il n'y a pas si longtemps, le gouvernement faisait adopter une loi intitulée "l'État au service d'une société de confiance". On n'y est pas vraiment.
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