Source [Causeur] : La parution d’un Figaro-Histoire consacré aux Conquistadors est une occasion immanquable pour rappeler qu’en histoire, rien n’est simple ni évident. Entre falsifications et révisionnisme, entre convictions et vraie recherche, l’histoire n’est pas un long fleuve tranquille.
Il faut commencer, par l’article de Marie-Danielle Demélas, spécialiste de l’histoire politique et militaire de l’Amérique latine et de l’Espagne. Elle démêle au mieux les fils embrouillés de la vérité — qui n’est pas forcément belle à voir, mais pas aussi noire que la leyenda negra a bien voulu le dire — et de la propagande anti-espagnole du Siècle d’or et jusqu’aux temps modernes. Les Conquistadors étaient-ils, comme l’a chanté Heredia, des aventuriers « ivres d’un rêve héroïque et brutal », responsables de l’éradication quasi-totale des populations indigènes des Caraïbes et du massacre des Aztèques et des Incas ? Ou des aventuriers formés par la Reconquista et désireux de trouver outre-Atlantique la juste rémunération de leurs engagements passés ? Et le discours quasi unanime sur leur brutalité est-il exempt d’arrière-pensées politiques, dont nous trouvons l’écho aujourd’hui dans ces mouvements « anticolonialistes » qui prétendent réécrire l’Histoire au profit des anciens colonisés et de leurs descendants ?
“La domination de l’Europe par l’Espagne n’est plus à craindre”
Comme l’écrit Marie-Danielle Demélas :
« En un temps où les rivalités justifiaient tous les coups – Philippe II s’associait à des protestants pour affaiblir le roi de France comme François Ier s’était allié avec le Turc contre les Habsbourg –, la légende travaille au service des intérêts de l’Angleterre et des Pays-Bas engagés dans une guerre de quatre-vingts ans (1568-1648) qui forge le nationalisme hollandais. Les pamphlets passent d’une langue à l’autre, les éditeurs prospèrent, les marchands et les navires portent au loin les accusations. Passé le XVIe siècle, les liens entre les deux États se distendent, et la légende perd toute utilité stratégique après le traité de Westphalie (1648). La domination de l’Europe par l’Espagne n’est plus à craindre. Mais le récit était bien fait et il reparaît à maintes reprises, avec quelques variantes. On pourrait parler d’une leyenda negra britannique, d’une autre hollandaise, d’une italienne, d’une allemande et même de celle que brodent les États-Unis à partir de la guerre de Cuba au XIXe siècle, quand l’ouvrage de Las Casas connaît de nouvelles éditions en anglais. »
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