Source [Atlantico] L'attentat de Conflans-Sainte-Honorine a visé un professeur. Cet acte n'est-il pas l'exemple extrême de l'abandon du métier d'enseignant. Les professeurs ne sont pas suffisamment écoutés. Ont-ils été abandonnés notamment sur le sujet de la laïcité ?
Atlantico.fr : Cet attentat n’est-il-pas l’exemple extrême de l’abandon de leur métier par la France ?
Jean-Paul Brighelli : On ne peut même pas dire que les enseignants soient abandonnés. Ils ont même toute une hiérarchie d’administratifs qui les encadre, les gère, les contrôle. Une hiérarchie qui, accomplissant des tâches aussi nobles, est nettement mieux rémunérée qu’eux. Une hiérarchie qui depuis la loi Jospin — qui a marqué le début de l’apocalypse de l’Ecole, promulguée par un représentant de cette gauche que 80% des profs adoraient à l’époque — veille également à ce que les profs enseignent bien, c’est-à-dire le plus mal possible, en se souciant surtout de sociologie bien plus que de pédagogie, et de respect des us et coutumes des uns et des autres bien plus que de transmission des savoirs. S’il fallait accuser quelqu’un, en dehors des islamistes qui ont comploté et exécuté cet assassinat, ce serait justement tous ces gens qui ont dégradé le métier pour en faire finalement un boulot de gardiennage.
Pierre Duriot : Ce n’est pas si simple. On ne peut pas dire que les profs aient été abandonnés par l’Etat. Tout le monde a été, plus ou moins, artisan de leur abandon, à commencer par les profs eux-mêmes, qui sont très majoritairement de gauche et qui ont spontanément, dans les années 80, « respecté la culture » de l’arrivant et commencé à passer dans des accommodements dits, à l’époque, « raisonnables ». Par exemple, ils n’ont rien dit lors des absences des élèves pendant les fêtes religieuses musulmanes. Des collègues m’ont parfois confié, qu’ils hésitaient à mettre de trop mauvaises notes à des élèves issus de l’immigration arabo-afro-musulmane, de peur de se sentir « racistes ». Ils se sont même pâmés devant la culture de l’arrivant, étudiant les cultures des pays d’origine, en vantant l’originalité, l’apport, les vertus. Des collègues de maternelle font attention à ne pas donner de bonbons susceptibles de contenir de la gélatine de porc, afin de ne pas provoquer d’histoire, comme si c’était leur rôle ? J’ai dû intervenir plusieurs fois sur cette thématique, comme maître spécialisé, face aux familles qui venaient poser leurs conditions.
Dans les années 80, une amie, conseillère d’éducation, à Creil, m’avait expliqué comment les « jeunes », issus de cette même immigration, venaient casser au lycée, en cas d’échec au bac. Il y eut aussi les phénomènes de harcèlement au voile, qui consistaient en une obligation, faite aux jeunes maghrébines de porter le voile sur le chemin de l’école, puisqu’il était interdit au lycée. J’ai eu l’obligation, moi-même, par la hiérarchie, à la fin les années 80, d’accepter, dans ma classe, les deux filles du responsable de l’institut islamique de Château-Chinon, installé à l’époque, par François Mitterrand. Ces deux mêmes filles qui ont, quelques années plus tard, amené ce même voile au lycée Jules-Renard de Nevers, qui a connu une empoignade sur ce thème. Les renoncements sont anciens.
Les maires de droite comme de gauche s’en sont mêlés aussi, arrangeant des menus de remplacement, avec même, ça et là, des accommodements encore moins raisonnables, comme des tables à part, des jeux de vaisselle à part…
La hiérarchie enfin n’a pas été à la hauteur, choisissant souvent la reculade, plutôt que les vagues et le risque d’affrontement. Ce furent des salles de prière plus ou moins clandestines, avec l’affaire Mayol, à Saint-Denis. Le soutien aux parents plutôt qu’aux enseignants et l’autorisation des accompagnantes voilées, par Najat Vallaud-Belkacem. Ce furent autant de coins dans l’espace laïque, le tout, pour de bonnes mauvaises raisons de « respect de la culture », ou de « ne pas heurter la sensibilité ». Si bien qu’au fil du temps, est venue l’autocensure des professeurs, pour simplement « assurer leur sécurité », sur des thématiques pourtant au programme, comme la naissance des religions ou la géopolitique touchant à la question palestinienne. Les voyants d’alarme en tous genres sont allumés depuis bien longtemps et pas mal de livres s’en sont fait l’écho, comme celui de Georges Bensoussan, taxé de raciste, la ficelle habituelle...
On l’a vu avec le mouvement "pas de vague", les profs ne sont pas suffisamment écoutés. Ont-ils été abandonnés notamment sur le sujet de la laïcité ?
Jean-Paul Brighelli : Au contraire : nous avons été abreuvés de circulaires et de recommandations. En 2016 le ministère de Mme Vallaud-Blekacem a pondu un « Livret Laïcité » qui affirmait que « Nul ne peut se prévaloir de son appartenance religieuse pour refuser de se conformer aux règles applicables dans l'École de la République ». Magnifique ! Mais nous étions à la grande époque du « vivre ensemble », et ce Livret semble avoir été écrit par une équipe de bisounours complètement coupé des réalités du terrain. C’est en l’appliquant à la lettre que la principale du collège de Conflans a cru bon de recevoir un parent d’élève escorté d’un fiché S, et de se fendre d’une lettre « conciliatrice » qui semblait promettre aux parents que des sanctions seraient prises contre Samuel Paty. Même si dans le même temps les hautes instances du rectorat, à ce qu’elles disent, appuyaient notre malheureux collègue. C’est de ce Livret, par exemple, qu’est sortie l’invraisemblable polémique sur le port du voile par les parents encadrant les sorties scolaires — une manifestation contraire à la loi, mais acceptée alors par l’institution (Blanquer a exprimé son opposition à cette pratique, ça n’a rien changé puisqu’il n’y avait pas de texte pour soutenir le refus éventuel des enseignants).
Dans les faits, et avec la bénédiction de l’Inspection, nombre de professeurs contournent les programmes pour éviter de parler des choses qui fâchent — dont la liste ne cesse de s’allonger : en voyant que sa stratégie réussit, l’ennemi demande chaque jour davantage. Jusqu’à exiger désormais des vestiaires séparés en cours d’EPS pour les circoncis et les incirconcis… Et je ne parle même pas de l’enseignement de la sexualité en SVT, des allusions à Darwin, des textes de Voltaire (ce malfrat qui a écrit Mahomet ou la superstition, et a si bien décrit le fanatisme dans le Dictionnaire philosophique), et d’une foule de détails sidérants — jusqu’à refuser de prendre une feuille touchée par une enseignante, qui, sait-on jamais, pourrait être impure… Parce que les enseignantes sont la cible privilégiée des intégristes — ce qui, dans une profession largement féminisée, pose des problèmes sérieux.
Non, l’institution ne défend pas vraiment les professeurs contre des superstitions médiévales importées d’un autre espace-temps.
Pierre Duriot : On ne sait pas si ce sont les profs eux-mêmes, qui ont lâché du lest et que la hiérarchie a exploité leurs failles, ou si la hiérarchie a entraîné l’abandon, par les professeurs, de leurs prérogatives en matière de laïcité. C’est en fait les deux à la fois, tous étant engoncés dans des principes humanistes de « respect de la culture » et « d’apport enrichissant ». Profs et hiérarchie étant souvent du même bord politique et culturel. Sur un autre terrain, les mêmes ont abandonné toute forme d’autorité, accompagnés par une hiérarchie qui a prôné une horizontalité dans les postures, voulant transformer la relation asymétrique « traumatisante » pour l’élève en un échange horizontal. Notes et évaluations ont cédé un temps également, « traumatisantes » elles-aussi, remplacées par des mises en situation de réussite artificielles ou des « encouragements », afin de ne pas abîmer « l’image de soi » des élèves. Bref, les principes idéologiques se sont substitués aux principes de bon sens qui auraient voulu que ce soit les profs qui apprennent aux élèves et pas le contraire et que l’on apprenne et respecte la culture française plutôt que de s’esbaudir en permanence sur un « apport culturel » que l’on cherche encore.
Que faudrait-il faire pour que les profs soient de nouveau heureux de faire leur métier ?
Jean-Paul Brighelli : Il faudrait déjà que les médias arrêtent de leur casser du sucre sur le dos à la moindre occasion. Cela éviterait que le public en fasse autant. Il faudrait leur redonner un peu de considération — ce qui, dans un système libéral, passe nécessairement par une consistante amélioration des salaires. Voici 15 ans que je réclame une augmentation de 50% des salaires de départ, afin de rendre attractif un métier que plus personne ne veut faire, sauf des masochistes et des étudiants perdus dans les profondeurs des classements.
Il faudrait aussi que le ministère dise clairement, par une loi qui effacerait la loi Jospin, que le métier d’enseignant consiste à transmettre des savoirs, et non à « co-éduquer » des enfants qui nous arrivent tordus par un entourage familial létal. Et que les élèves ont, prioritairement, le devoir de se taire, et non d’exprimer leurs billevesées sur le ton de « C’est votre avis, ce n’est pas le mien ».
Il faudrait aussi que les Inspecteurs soutiennent les enseignants qui enseignent, au lieu d’applaudir, comme trop souvent ils le font, ceux qui se contentent de gérer l’ingérable. C’est cela, le « pédagogisme » — cela et rien d’autre. Faire passer les « activités » (un joli mot pour désigner un concept creux) avant la transmission. Disons-le tout net : le prof sait, il parle, l’élève écoute. Et il lève la main pour demander une précision. Pas pour donner son avis sur la bataille de Poitiers ou les discriminations supposées dont il serait victime.
Parce que les vraies victimes sont les enseignants. Et il aura fallu ce drame pour rappeler que des centaines d’enseignants et de chefs d’établissement sont agressés quotidiennement par des élèves ou des parents qui désormais contestent tout et n’importe quoi.
Il faudrait enfin que l’on inspecte sérieusement les conditions de vie de certains élèves, qui sont soumis à un bourrage de crâne qui n’est rien moins que sectaire, au sens étroit du terme. On ne laisserait pas des enfants en contact avec des parents professant des idées monstrueuses, n’est-ce pas ? On a même un Observatoire des sectes, en France. Eh bien il faut comprendre que dans nombre de familles musulmanes, la foi professée est sectaire, nocive, et à terme monstrueuse. Oui, protégeons les enfants en les dépaysant de leurs familles, si nécessaire. Ce n’est pas une proposition inédite, les révolutionnaires de 93 l’avaient déjà formulée.
Pierre Duriot : Mais il y a des profs heureux, j’en suis d’ailleurs. Je n’ai jamais lâché ma posture, gardant autorité, ne passant rien à personne sous quelque prétexte que ce soit, m’appliquant à moi même une discipline, avant de l’exiger également des élèves. Et beaucoup d’autres avec moi, mais pas suffisamment sans doute, tant la proximité et la défience entre profs, élèves et parents sont devenues telles qu’il est impossible, en beaucoup d’endroits de restaurer autorité, discipline et travail. Dans ce sens, la hiérarchie issue des gouvernements, de droite, comme de gauche, a transformé l’école en y mettant, au centre, l’élève, en lieu et place du travail, en incitant les établissements scolaires à tenir compte des cultures et à faire du social. C’est ainsi que l’on voit des associations de quartiers, travailler avec les enseignants, pour rédiger, dans la langue d’origine de chaque élève, les mots écrits par l’école. Ceux, comme moi, qui pensons que ce n’est pas à l’école de traduire mais aux parents de faire l’effort, d’apprendre eux-aussi le Français, passons pour d’odieux fachos. Pour que les profs soient heureux, il faut que l’école redevienne un lieu de savoir, où l’on ne tient pas compte de l’origine des élèves, juste de son niveau scolaire et que le prof redevienne, celui qui sait et qui enseigne à ceux qui ne savent pas encore et qui sont là pour apprendre. L’enfer que nous vivons aujourd’hui a toujours été pavé de bonnes intentions. Pour Winnicot, l’inventeur du concept de la mère suffisamment bonne, l’école aura été une mère « trop bonne ».
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