Source [Atlantico] Le Pew Research Center a mené une enquête sur l’héritage du 11 septembre dans les mémoires des citoyens américains, 20 ans après ces attentats qui ont fait près de 3.000 morts. Cette onde de choc est-elle aussi présente en Europe ?
Atlantico : Le Pew Research Center a mené une enquête sur l’héritage du 11 septembre dans les mémoires américaines, 20 ans après. Quels sont les principaux enseignements de cette étude ?
Christophe de Voogd : Cette enquête ne surprend guère les spécialistes de la mémoire historique. Le 11 septembre y fonctionne comme un événement de rupture majeure, très bien identifié, où se lit la force d’un traumatisme collectif. Plus de 90% des Américains de plus de 30 ans, avec une stabilité remarquable de ce pourcentage considérable à travers les générations qui ont vécu l’événement, se souviennent de l’endroit précis où ils étaient ce matin-là. Voilà qui signale un de ces grands moments historiques qui distinguent un avant et un après. Une enquête de 2016 montrait déjà que la population US considérait de très loin (76%) le « 9/11 » comme le plus important des 10 événements historiques de leur existence, loin devant l’élection d’Obama. Fait encore plus frappant : l’accord total des républicains et des démocrates sur ce point alors qu’ils diffèrent sur tous les autres sujets. De même la lutte contre le terrorisme est demeurée une priorité politique très majoritaire dans l’opinion des deux bords. De même encore, l’insatisfaction dans la riposte des dirigeants à la menace terroriste est très partagée, tout comme l’acceptation de restrictions aux libertés individuelles, dans un pays qui, on le sait, est très sourcilleux sur ce sujet.
Mais le biais partisan – comme dans tous les enjeux mémoriels, très sujets aux clivages entre groupes et au conformisme au sein de chaque groupe – réapparaît très vite quant à l’interprétation et aux conséquences de la tragédie. Ainsi la méfiance à l’égard de l’Islam qui atteint 50% des répondants (soit paradoxalement bien plus que juste après le 11 septembre) est de 40 points supérieure à droite qu’à gauche.
Enfin l’opinion est évidemment très sensible à l’actualité : chaque événement terroriste ou menace pour la sécurité fait remonter fortement cette préoccupation et, inversement, lorsque le péril s’éloigne ou que d’autres catastrophes se produisent dans un temps qui n’en est pas avare (cyclones, incendies, meurtres racistes, meurtres de masse, et bien sûr pandémie), d’autres sujets passent au premier plan. Ainsi, ces dernières années les enjeux sanitaires ou économiques l’ont emporté, de même que les antagonismes politiques autour du « cas Trump » ; mais l’enquête du Pew Research Center montre aussi que la crise afghane actuelle et la débâcle américaine à Kaboul sont en train de raviver les craintes de déstabilisation extérieure et intérieure, et la méfiance vis-à-vis de l’Islam, y compris chez les démocrates.
Qu’est ce qui dans les évènements du 11 Septembre peut expliquer qu’il soit si prégnant vingt ans après ?
Il y a évidemment un facteur objectif : le nombre considérable de victimes (plus de 3 000 morts) qui est sans commune mesure avec les attaques terroristes ailleurs en Occident et même dans le monde au cours d’un seul événement. Mais il faut y ajouter des facteurs spécifiquement américains : le fait que ce pays, qui a mené tant de guerres extérieures, n’en a jamais connu les effets directs sur son sol ; les symboles des Tours jumelles et du Pentagone, incarnations de la puissance à la fois civile et militaire des Etats-Unis ; la force du patriotisme américain, dernière valeur trans-partisane ; l’indignation morale d’un pays se concevant comme le refuge de la liberté et des opprimés et qui a été « lâchement » attaqué. A quoi s’ajoute bien sûr la réactivation périodique de ce souvenir par d’autres attentats islamistes : soit à l’extérieur (assassinat de l’ambassadeur US en Libye, attaques contre les soldats US en Irak) ; soit, plus douloureux encore, aux Etats-Unis même, comme la tuerie d’Orlando ou les attentats sur des bases militaires.
La question majeure va être alors de voir si le vœu puis l’approbation majoritaires des Américains pour le retrait d’Afghanistan – raison de fond qui explique, on l’oublie parfois, la politique de désengagement suivie par Obama, Trump et Biden – va se renforcer et tourner à l’isolationnisme complet ; ou bien si une nouvelle doctrine d’intervention, plus sélective mais aussi plus brutale, va voir le jour. Une autre question sera de savoir si la nouvelle génération, qui n’a pas vécu le 11 septembre et dont la mémoire collective a été forgée par le meurtre de George Floyd, et la culture politique par l’enjeu racial, va partager les préoccupations de ses aînés : or le « wokisme » est plutôt complaisant avec l’islamisme.
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